Intégrale Cluytens ERATO |
Un prince de la direction
André Cluytens :
The Complete Orchestral & Concerto Recordings
C.P.E. Bach, Beethoven, Berlioz, Bizet, Boiedieu, Bondeville, Borodine, Chabrier, Charpentier, Chopin, Chostakovitch, De Falla, Delage, Debussy, Delibes, D’Indy, Dvořák, FaurĂ©, Franck, Gershwin, Glinka, Gounod, Haendel, Haydn, HĂ©rold, Lalo, Laparra, Liszt, Massenet, Mendelssohn, Menotti, Moussorgski, Mozart, Nigg, PiernĂ©, Prokofiev, Rachmaninov, Ravel, Rimski-Korsakov, Rossini, Roussel, Saint-SaĂ«ns, Schubert, Schumann, Smetana, R. Strauss, Stravinski, TchaĂŻkovski, Wagner, Weber
Orchestre national de la Radiodiffusion française, Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, Orchestre du Théâtre national de l’Opéra, Orchestre du Théâtre national de l’Opéra-Comique, Berliner Philharmoniker, Philharmonia Orchestra, Wiener Philharmoniker, Orchestre national de Belgique, Orchestre Colonne, Le Grand Orchestre symphonique Columbia
Enregistrements : Paris, Berlin, Londres, Bruxelles, Vienne, 1943-1966
65 CD ERATO 0190295886691
Le 3 juin 1967 disparaissait le chef d’orchestre André Cluytens à l’âge de 62 ans, emporté par un cancer. Au carrefour des cultures par sa naissance dans les Flandres, il éprouvait un amour aussi fort pour la musique allemande que pour la musique française, sans oublier son attrait pour le répertoire russe. Depuis les débuts du CD, son legs a toujours été éparpillé, jusqu’à ce 50e anniversaire de sa mort pour lequel ERATO-Warner (ex-EMI) a regroupé l’intégralité de ses enregistrements instrumentaux (et d’oratorio) dans ce coffret de 65 CD. Une somme considérable consacrée au premier millionnaire français du disque classique face aux micros entre mai 1943 (excellente Burleske de Strauss avec Marcelle Meyer) et septembre 1966 (le remake stéréo bien connu de l’Enfance du Christ de Berlioz).
Intérêt évident de cette grosse boîte exhaustive, la publication d’enregistrements totalement inédits, comme cette superbe España de Chabrier captée en fin de session des concertos 2 et 4 de Beethoven avec un Solomon exemplaire et le Philharmonia, ces irrésistibles extraits de la Première suite (jusqu’à une Leçon de danse écourtée des deux tiers) de Cydalise et le Chèvre-pied de Pierné, ou le Premier Concerto de Beethoven avec un Emil Gilels tout feu tout flamme, accompagné avec un tranchant qu’on retrouvera rarement à ce point chez le chef dans le répertoire germanique.
On trouve aussi pour la première fois au CD la Perséphone de Stravinski avec Gedda, la première gravure de l’Enfance du Christ (1951), plus humble, simple et intelligible, trois César Franck avec la Société des concerts (Rédemption, Psyché, le Chasseur maudit) qui complètent l’incontournable anthologie avec l’Orchestre national de Belgique, et l’enregistrement le plus complet à ce jour du Martyre de saint Sébastien de Debussy, avec la (quasi) intégralité du texte de D’Annunzio dit par les légendes de la Comédie-Française Véra Korène et Maria Casarès, et pour les intermèdes musicaux, une direction angoissée, particulièrement glauque.
Certes, on déplorera l’absence d’enregistrements de la Mer ou du Faune de Debussy, mais on tient la version absolue de Jeux, phénoménale de bruissements, de sensualité en éveil, ainsi que de magnifiques Images – avec des Gigues difficilement surpassables. Chez Ravel, compositeur de prédilection du maestro, notre cœur balance entre les versions des années 1960 avec la Société des concerts, plus incarnées et riches d’arrière-plans, saturées de couleurs et d’une sensualité très active, et celles des années 1950 avec la Radiodiffusion française, plus claires mais déjà d’une élégance aristocratique. Sans oublier les gravures isolées de certaines pièces avec les mêmes orchestres, voire avec le Philharmonia pour la meilleure Valse du lot.
Si du côté russe, on penche tantôt vers les sessions anglaises tantôt de notre côté de la Manche, les gravures de musique allemande avec les Berliner demeurent trop middle of the road pour vraiment s’imposer (Manfred, Troisième de Schumann, Troisième Concerto de Beethoven). On nous pardonnera d’ailleurs de ne partager que moyennement l’enthousiasme répandu pour l’intégrale des symphonies de Beethoven, large, très harmonique et charpentée mais aussi assez neutre et bien peu verticale, un paradoxe chez un chef qui latinisait Tannhäuser à Bayreuth et germanisait Pelléas à Paris.
La comparaison avec un premier mouvement de Cinquième à la tête des Wiener (au milieu de petits bouts de symphonies et d’un Don Juan de Strauss plus sensuel que millimétré) témoigne d’une tout autre poigne et d’un impact orchestral démultiplié. En revanche, on redécouvre une première gravure de la Pastorale à Berlin (mono, 1957) d’une magnifique transparence, infiniment plus ciselée (le hautbois, un mouvement lent moins alangui) que l’officielle en stéréo, alors que la préquelle de la Septième ressemble beaucoup à celle de l’intégrale, qui regarde vers Furtwängler sans jamais l’approcher – même constatation dans une Inachevée de Schubert lente et peu habitée, plus artisanale mais mieux tenue à Paris en 1951.
On surprendra d’ailleurs ici ou là une tendance à traîner jusque dans une référence absolue comme le concerto de Beethoven (David Oïstrakh, miraculeux de bout en bout), à l’inverse de la Symphonie espagnole de Lalo (Zino Francescatti), bien cravachée, ou des concertos de Chostakovitch avec le compositeur au piano, d’un tranchant imparable. Au pur niveau artistique, la moyenne tournerait donc ici autour de quatre cœurs, mais ce type de publication offrant un regard global sur l’évolution d’un artiste ayant commis d’immenses gravures de l’histoire du disque mérite la note maximale, d’autant que l’objet est très beau, accompagné d’une excellente notice, et que les bandes ont été magnifiquement remasterisées par Art et Son.
À quand un second coffret avec l’intégralité des gravures lyriques, dont la plupart sont aujourd’hui introuvables ?
Joyeux Noël à toutes et à tous !
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