Wozzeck à l'Opéra d'Amsterdam |
Psychopathe congénital
Alban Berg (1885-1935)
Wozzeck
Christopher Maltman (Wozzeck)
Eva-Maria Westbroek (Marie)
Frank van Aken (Tambourmajor)
Marcel Beekman (Hauptmann)
Sir Willard White (Doktor)
Jason Bridges (Andres)
Ursula Hesse von den Steinen (Margret)
Chœur de l’Opéra national néerlandais
Orchestre philharmonique néerlandais
direction : Marc Albrecht
mise en scène : Krzysztof Warlikowski
dĂ©cors & costumes : Małgorzata Szczęśniak
Ă©clairages : Felice Ross
vidéo : Denis Guéguin
préparation des chœurs : Ching-Lien Wu
captation : François Roussillon
Enregistrement : Opéra, Amsterdam, mars & avril 2017
Blu-ray (ou DVD) Naxos NBD0081V
Sa Lulu de la Monnaie avait fait couler beaucoup d’encre à sa sortie en DVD chez BelAir Classiques il y a quatre ans. Krzysztof Warlikowski propose cette fois chez Naxos et à l’Opéra d’Amsterdam une vision de Wozzeck qui reste l’un de ses spectacles les plus forts, dans lequel il cherche à revenir avant tout à Büchner, et même plus exactement au fait divers sur lequel s’est basé le dramaturge allemand, en renvoyant Wozzeck à son statut de coiffeur.
Un prologue présente un salon parqueté où une compétition de danse oppose de très jeunes couples, sous le regard d’un petit garçon à lunettes constamment rebuffé par les autres enfants. Le vrai lever de rideau dira qu’il est le fils du coiffeur Wozzeck, loser introverti et angoissé aux lunettes de psychopathe.
Dans un univers assez typique des Flandres, où les karaokés, les mères voluptueuses dénuées de stabilité affective, la misère sociale évoqueraient l’environnement du film Sur le chemin des dunes de Bavo Defurne, la déchéance guette des personnages dépassés par leur enfermement social, abusés l’air de rien par leurs supérieurs de classe.
Les extravagances capillaires, des postiches aux coiffures de Marie, servent à cristalliser la folie naissante de Wozzeck, toujours son rasoir à portée main, dans une mise en scène qui focalise sur des symboles extrêmement forts : l’aquarium catalyseur des hallucinations du coiffeur, qui y perd la lame meurtrière, avant de s’y ouvrir les veines. Le même aquarium dans lequel l’enfant jettera un à un, et avec un regard de plus en plus possédé, les organes de la maquette du corps humain du Docteur.
Et Warlikowski de suivre les lignes de tension de la musique, avec Marie égorgée se relevant par deux fois et titubant jusqu’à s’effondrer pour de bon, dans un éclairage écarlate et sur les deux crescendos insoutenables, ainsi que Wozzeck agonisant pendant les quatre longues minutes de l’interlude en ré mineur, moment de théâtre d’une puissance inouïe.
La musique est à l’avenant, et au premier chef la direction de Marc Albrecht, qui dans des textures denses mais aérées, appuie sans pitié sur la moindre dissonance avec les timbres magnifiques de l’Orchestre philharmonique néerlandais, non sans donner à entendre pléthore de détails et alliages, tant à l’intérieur des groupes instrumentaux que dans leur confrontation. Un tour de force qui transcende une distribution où le chant n’est jamais sacrifié au Sprechgesang et où seule déçoit finalement Eva-Maria Westbroek, voix désormais trop large et mûre pour Marie, qui demande des aigus plus stables et dardés, une émission moins encombrante.
Le reste du plateau est exceptionnel, à commencer par le Wozzeck de Christopher Maltman, méconnaissable avec ses longs cheveux blonds, parfaitement projeté sur tout le spectre, capable des plus noirs éclats comme des intonations les plus fragiles. Carton plein aussi chez les ténors, du Tambourmajor butor comme il se doit de Frank Van Aken à l’Andrès radiant de lyrisme de Jason Bridges, en passant par le Capitaine génialement hirsute de Marcel Beekman, sans oublier les glorieux restes du Docteur de Willard White et la Margaret très Kurt Weill d’Ursula Hesse von den Steinen.
Soulignons enfin les vertus de la captation de François Roussillon, tant au niveau du piqué des images (magnifiques sur Blu-ray) que d’une caméra rendant ô combien justice à la fabuleuse direction d’acteurs, accouchant de moments d’opéra filmés parmi les plus impressionnants qu’on ait vus sur support numérique – les gros plans sur les tics nerveux du rôle-titre. La prise de son, présente, riche, fouillée, qui ne relègue pas l’orchestre au second plan, est également une splendeur. Un produit modèle d’une production modèle.
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