Mort Ă Venise au Teatro Real |
DĂ©sir trouble et lunaire
Benjamin Britten (1913-1976)
Death in Venice
John Daszak (Aschenbach)
Leigh Melrose (baryton)
Tomasz Borczyk (Tadzio)
Anthony Roth Costanzo (Apollon)
Chœur et Orchestre du Teatro real de Madrid
direction : Alejo PĂ©rez
mise en scène : Willy Decker
décors : Wolfgang Gussmann
costumes : Wolfgang Gussmann & Susanna Mendoza
Ă©clairages : Hans Toelstede
chorégraphie : Athol Farmer
captation : François Roussillon
Enregistrement : Teatro Real, décembre 2014
Blu-ray (ou DVD) Naxos NBD0076V
Décidément, Mort à Venise a de la chance au catalogue DVD, ce nouvel apport faisant suite à la merveilleuse production de Deborah Warner pour l’English National Opera parue en 2014 chez Opus Arte. C’est cette fois le Teatro Real de Madrid (la même année 2014) qui sert à merveille l’ultime ouvrage lyrique de Britten, avec une production qui confirme la qualité constante du travail du vétéran Willy Decker.
Une conception lisible, ne cherchant pas à contourner les difficultés de ces dix-sept scènes d’affilée par un décor unique, usant sans complexes des ouvertures et fermetures de rideau, souvent en laissant un personnage dans le champ visuel pour opérer une certaine continuité. Action proche du livret, univers dramatique intact, absence de transposition ne rimant pour autant jamais avec académisme ou passéisme, le spectacle alterne habilement lenteur et solitude de Gustav von Aschenbach avec immiscions de personnages perturbateurs par leur énergie semblant décentrer le poète, agacé de toutes ces agressions extérieures, de la même manière que la musique le laisse entendre.
On retiendra certaines images, comme cette scène initiale faustéenne dans un bureau avec l’homme de Vitruve de Leonard en fond, ou cette magnifique traversée vers la lagune façon cercueil flottant guidé par un gondolier Charon sur une vidéo marine. Mais Decker sait surtout explorer la sexualité latente avec ces Jeux d’Apollon où Aschenbach se rêve dans un tango torride avec un Tadzio totalement nu, transcendant le sous-texte du livret de Manfywy Piper, ou encore ce petit théâtre de guignol où il se voit en train d’embrasser l’adolescent (ici le danseur polonais, toute blondeur et énigme, de Tomasz Borczyk) sous les sarcasmes de la faucheuse et du diable.
Si la scène est donc du niveau de la production britannique, versant lunaire, la musique est encore un cran au-dessus, notamment au niveau du chant, John Daszak n’ayant rien du ténor nasillard sur le retour de John-Graham Hall, voix au faîte de ses moyens, d’une diction aristocratique exemplaire, d’une émission franche et saine, d’une radiance et d’une richesse psychologique bouleversantes, face au baryton multi-rôle parfaitement différencié et assumé par Leigh Melrose.
En fosse, le jeune AlĂ©jo PĂ©rez, chef expert du rĂ©pertoire XXe, tire souvent la partition vers les lignes dĂ©graissĂ©es de Janáček, ou celles plus dĂ©sertiques de Chostakovitch, sans la moindre pompe ou rondeur victorienne, jouant des silences, des changements d’éclairage dramatique avec une finesse doublĂ©e d’une puissance contrĂ´lĂ©e qui font merveille – la conclusion instrumentale de l’opĂ©ra, oĂą la percussion scintille sur des cordes hantĂ©es autour du cadavre d’Aschenbach. Carton plein Ă©galement pour François Roussillon, dont la captation pour Naxos est Ă nouveau un modèle.
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