Anthologie Schubert Schnabel |
Miracle du 78 tours
Franz Schubert (1797-1828)
Ĺ’uvres pour piano
Artur Schnabel, piano
Quintette La Truite
Quatuor Pro Arte
7 Lieder
Therese Behr-Schnabel, contralto
Enregistrements : 1932-1939, Abbey Road, Londres
Coffret de 5 CD Warner Classics 0190295633769
Il y a deux ans, Warner rééditait l’une des sommes fondamentales de l’histoire du disque : la toute première intégrale des sonates pour piano de Beethoven, sous les doigts d’Artur Schnabel, gravée à Londres à l’époque du 78 tours sous la houlette de Fred Gaisberg, producteur pour His Master’s Voice, entre 1932 et 1935 dans le studio n° 3 d’Abbey Road.
Exilé de la sphère germanique en raison de sa judéité, le pianiste né dans l’Empire austro-hongrois en 1882 et formé à Vienne, où enfant, il avait côtoyé Brahms, laissait là un témoignage qui, plus de quatre-vingts ans plus tard, n’a pas pris une ride. Le coffret de 8 CD, serti d’un remastering éblouissant (réalisé anonymement en 2015-2016 sur les lieux mêmes d’enregistrement) et qui rajeunissait considérablement le message du pianiste, était proposé à un prix presque dérisoire.
Restaient donc les gravures schubertiennes du pianiste autrichien, alors audacieuses tant le compositeur se vendait peu sorti des Impromptus ; elles nous sont rendues cet automne. Son legs solo tient sur trois disques, fruits de sessions étalées entre 1937 et 1939, toujours à Abbey Road, et consacrées à l’Allegretto en ut mineur, à la Marche en mi majeur, aux six Moments musicaux, ainsi qu’aux Sonates n° 17, n° 20 et n° 21, auxquelles viendront s’ajouter, en 1950, un an avant la mort du pianiste, les deux cycles d’Impromptus supervisés par Walter Legge. On reste confondu par la substance poétique, la volatilité de ce piano ineffable, presque dépourvu de marteaux, ramené à la destination première de cette musique : le foyer, et non la salle de concert.
Appuyées sur un rubato discret mais omniprésent, ces interprétations avancent constamment, jusqu’à paraître alertes dans le premier énoncé des thèmes, un sentiment dissipé aussitôt devant l’élasticité du son, à l’exception de l’Andante sostenuto de la D 960, très lent, tétanisant d’émotion intériorisée, tout comme l’Andantino de la D 959, phrasé du bout des doigts, dans une lumière immatérielle mais moins dans la lenteur.
Et si les doigts ne sont plus tout à fait aussi agiles une décennie plus tard dans les Impromptus, presque galants aux détours de l’op. 90 n° 2 (on garde une petite préférence pour la gravure américaine du premier cahier en 1942 chez RCA, dont le pianiste avait pourtant refusé la publication), il s’agit là encore d’un passage obligé de l’histoire de l’enregistrement, au même titre que la version concurrente d’Edwin Fischer (1938), moins somptueuse de clavier, là où l’instrument de Schnabel évoque souvent la délicatesse du pianoforte (à peine moins sur le Steinway d’après-guerre que sur ce qui ressemble beaucoup à un Bechstein dans les sessions années 1930).
Les deux derniers CD montrent Schnabel entouré, d’abord par son fils Karl Ulrich (28 ans) pour un album à quatre mains (1937), sélection de marches et Divertimento à la hongroise d’une cohésion et d’une discipline exemplaires, d’une agogique ô combien intégrée par sa descendance, puis par les musiciens belges du Quatuor Pro Arte dans La Truite (1935), et enfin dans sept Lieder (en parfait état de conservation) par l’épouse Therese Behr-Schnabel (1932), dont le contralto est capté malheureusement trop tard (elle avait 56 ans), ce qui n’altère pas outre mesure un témoignage familial précieux.
Merveille absolue donc que ce petit coffret de 5 CD où Christophe Hénault, du studio Art & Son, basé à Annecy, a opéré des merveilles de restitution sonore, malgré des bandes souvent en moins bon état que les fameux Beethoven.
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