Un conte drĂ´le et cruel
NikolaĂŻ Rimski-Korsakov (1844-1908)
Le Coq d’or
Pavlo Hunka (Tsar Dodon)
Alexei Dolgov (Tsarevitch Gvidon)
Konstantin Shushakov (Tsarevitch Afron)
Alexander Vassiliev (Général Polkan)
Agnes Zwierko (Amelfa)
Alexander Kravets (l’Astrologue)
Venera Gimadieva (Tsarine Chémakha)
Chœur et Orchestre symphonique de la Monnaie
direction : Alain Altinoglu
mise en scène & costumes : Laurent Pelly
décors : Barbara de Limburg
éclairages : Joël Adam
préparation des chœurs : Martino Faggiani
captation : Myriam Hoyer
Enregistrement : La Monnaie, Bruxelles, 2016
Blu-ray (ou DVD) BelAir Classiques BAC 447
Ultime opéra de Rimski-Korsakov, que la censure privera d’une création de son vivant, Le Coq d’or reste un modèle de causticité en musique, qui dénonce la déliquescence du pouvoir impérial russe en s’appuyant sur la nouvelle de Pouchkine dont le contenu restait ô combien actuel sous le règne de Nicolas II, auteur des répressions sanglantes de la première révolution avortée de 1905 et du désastre militaire de la guerre russo-japonaise peu avant que le compositeur s’attèle à l’écriture.
Cette histoire de roi fainéant qui échange imprudemment avec un astrologue un coq d’or l’avertissant de tout danger militaire contre la récompense de son choix, est un joli conte symbolique, drôle et cruel à la fois. À la vidéo, la production d’Ennosuke Ichikawa au Châtelet, inaugurée en 1984 et captée à sa dernière reprise en 2002, très esthétisante dans sa temporalité extrême-orientale, a longtemps occupé seule la place, au point de se voir proposer en 2012 le transfert au support Blu-ray.
Depuis, une mise en scène du Mariinski enregistrée et sortie l’an passé est venue compléter l’offre sous le versant Regietheater de la jeune Anna Matison, solution décapante probablement pas idéale pour découvrir l’ouvrage. C’était sans compter le spectacle de Laurent Pelly inauguré l’année précédente à la Monnaie, et repris depuis à Nancy et Madrid, qui constitue une excellente alternative aux deux précédents, en traitant tout autant les aspects burlesques que plus dramatiques de la partition, sans perdre de vue à aucun moment le climat du conte.
Une équation que résoud parfaitement le metteur en scène français, avec son décor de gravats sur lesquels trône un grand lit en étain d’où rechigne à sortir un Tsar Dodon en pyjama, souverain d’un peuple de clones albinos en peaux de yéti et d’une armée de faibles d’esprits, puis sous l’enchantement d’une Tsarine amazone sortie d’une corne d’abondance, qui reviendra à la cour dans son lit posé sur un tank. L’onirisme n’est pas en reste, avec ce perroquet articulé causant à l’oreille du vieux monarque vautré, et le coq d’or à taille humaine, aux mouvements saccadés d’une grande exactitude tandis que le rôle est chanté hors scène par une soprano en petite voix de trompette.
La musique affiche la même réussite, d’abord par la direction fine et rigoureuse mais également fantasque, colorée et affûtée, aux mille climats et reflets dorés d’Alain Altinoglu, qui tient la dramaturgie en haleine pendant deux heures avec un art subtil de la caractérisation – le cor anglais du perroquet – dans une musique annonçant déjà L’Oiseau de feu et Le Rossignol de Stravinski.
Distribution de premier choix, du Tsar volubile et blasé de Pavlo Hunka à l’Astrologue ténor-altino d’Alexander Kravets, qui négocie au mieux ses contre au sein d’une ligne très châtiée, en passant par le contralto génialement rombière d’Agnes Zwierko en Amelfa et la Tsarine de Chémakha piquante et sexuelle de Venera Gimadieva, qui offre quelques stridences et premiers signes d’élargissement du vibrato mais demeure d’un impact assez stupéfiant en l’état.
Le grain de l’image et la richesse des couleurs de la captation de Myriam Hoyer rendent tout autant justice à un ouvrage en marge des grandes allées du répertoire, royalement servi par BelAir Classiques.
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