Intégrale Celibidache Warner |
Réédition polémique
Sergiu Celibidache
The Munich Years
Bach, Barber, Bartok, Beethoven, Berlioz, Brahms, Bruckner, Chostakovitch, Debussy, Fauré, Haydn, Mendelssohn, Milhaud, Moussorgski, Mozart, Prokofiev, Ravel, Rimski-Korsakov, Rossini, Schubert, Schumann, Smetana, J. Strauss II, Stravinski, Verdi, Wagner, Weber
MĂĽnchner Philharmoniker
direction : Sergiu Celibidache
Enregistrements : Munich, 1979-1996
49 CD Warner Classics 0190295581541
ou selon affinités
Un cadeau un peu plus polémique aujourd’hui, avec cette réédition en 49 CD, dans une boîte seulement un tiers plus grosse que l’anthologie Bruckner parue en 1998, de la totalité des enregistrements publics de Celibidache avec l’Orchestre philharmonique de Munich naguère publiée par EMI, une somme à ne pas mettre entre toutes les oreilles tant l’art du maestro roumain arrivé au soir de sa vie peut désarçonner autant que passionner, exaspérer autant que fasciner.
Le gourou, fort d’une approche temporelle extrême-orientale, possédait une esthétique si particulière qu’il la jugeait trop riche pour passer la barrière des micros, d’où son refus de faire des disques, et la publication des bandes live de la radio bavaroise très peu de temps après sa disparition. D’où aussi son choix de ne travailler, après son éviction de la Philharmonie de Berlin à la mort de Furtwängler, qu’avec des formations de seconde zone qu’il pouvait modeler à son gré, sans se heurter au poids de traditions trop ancrées.
Jusqu’à ce qu’il file le parfait amour avec les Münchner, qui lui confièrent leur poste de directeur musical de 1979 jusqu’à sa disparition à l’été 1996, à l’âge de 84 ans. Un règne qui lui permit de transformer une formation honorable en orchestre de premier plan. Celibidache a donc pu y déployer à l’envi des textures mirifiques : cordes d’un soyeux sans pareil, cuivres nobles, d’un éclat mordoré à donner le frisson, vents transparents bien que relativement vibrés, timbales rondes et amorties. Une esthétique de la lumière et de la douceur refusant toute dureté peu importe le répertoire, et (presque) toujours doublée d’une lenteur inouïe.
C’est pourtant un véritable système, une forme de dogme qu’à mis au point le chef d’orchestre, qui ne s’adaptait jamais aux partitions mais cherchait au contraire à les faire rentrer dans son cadre coûte que coûte. D’où un rejet franc et massif pour certains auditeurs devant ces à -plat instrumentaux inspirés par la pratique du bouddhisme zen, dénués de tout arrière-plan y compris dans le répertoire à programme, huile essentielle de musique pure qu’on peine parfois à reconnaître tant le texte se déroule au ralenti, parfois jusqu’à une forme d’asphyxie.
Un compositeur résiste mieux que les autres à ce traitement de choc : Bruckner, avec ses piliers de cathédrale, et notamment, dans cette anthologie des symphonies n° 3 à 9, la trilogie 5-6-7, sur les sommets, avant une forme de déclin en germe dans la Huitième et patent dans une Neuvième trop tardive et exsangue (1996). Wagner également bénéficie d’extraits instrumentaux inouïs (Enchantement du Vendredi saint, Marche funèbre de Siegfried).
Chez Brahms, l’éclairage est magnifique dans une Deuxième automnale, dans une Quatrième d’une tristesse insondable, osant enfin sortir de l’abstraction. Schumann (sans la Première) résiste plus à cette thérapie – sauf la grande arche de la Deuxième - en raison entre autres d’une Quatrième moyennement enregistrée (1988), fait rarissime dans ces bandes exemplaires.
À condition d’accepter des ruptures rythmiques niées et une focalisation sur la seule densité harmonique, on pourra encore trouver de la substance à certains Beethoven (intégrale sans la Symphonie n° 1) : Neuvième de bronze, chantant pour l’univers entier, Héroïque d’une hauteur de vue stratosphérique. Tandis que la Pastorale, à dormir debout, s’avère d’un ennui mortel.
Parmi les meilleurs témoignages, aux côtés d’une suite de Casse-Noisette à l’arrêt, une trilogie 4-5-6 de Tchaïkovski gigantesque, monument de marbre sans une miette de sentimentalisme (mais où diable est passé le Roméo et Juliette cosmique de la collection EMI initiale ?), et des incursions de musique française à marquer d’une pierre blanche : Debussy arachnéens et réinventés (La Mer, Iberia), Boléro hypnotique.
On ne peut en revanche passer sous silence les limites de l’approche dans les pièces vocales (à l’exception de la Messe en fa de Bruckner), tellement éloignées des nécessités du souffle (phrasé, respirations et prosodie) qu’elles virent parfois au grotesque (Requiem de Mozart, Messe en si, Requiem de Fauré, où Margaret Price plafonne tout le long du Pie Jesu, où Alan Titus s’étouffe dans Libera me) malgré de très bons chœurs et une plasticité évidemment optimale (Messa da Requiem de Verdi, Requiem allemand).
Produit impossible à noter donc, et redoutable en écoute exhaustive, que ce beau coffret noir et rouge qui peut donner rapidement une furieuse envie de se jeter sur un Mravinski, un Toscanini ou un Markevitch pour se recentrer. Ne vous fiez en outre guère à une alerte Quarantième de Mozart, ou à la pimpante Symphonie classique de Prokofiev (1948 avec les Berliner) en CD bonus ! Car pour pleinement goûter cette somme subversive, il faudrait se retirer sur une île déserte avec ce seul coffret, loin de la vérité même relative des partitions, pour réaliser à quel point personne n’a sans doute réussi à faire aussi magnifiquement sonner un orchestre au XXe siècle !
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