Billy Budd au Teatro Real |
La vérité de Britten
Benjamin Britten (1913-1976)
Billy Budd
Jacques Imbrailo (Billy Budd)
Toby Spence (Edward Fairfax Vere)
Brindley Sherratt (John Claggart)
Clive Bayley (Dansker)
Sam Furness (A Novice)
Chœur et Orchestre du Teatro Real de Madrid
direction : Ivor Bolton
mise en scène : Deborah Warner
décors : Michael Levine
costumes : Chloe Obolensky
Ă©clairages : Jean Kalman
préparation des chœurs : Andrés Maspero
captation : Jérémie Cuvillier
Enregistrement : Teatro Real, Madrid, septembre 2017
Blu-ray (ou DVD) BelAir Classiques BAC554
Peu de productions peuvent se targuer de donner un tel sentiment d’évidence de la première à la dernière image, de s’identifier à ce point à l’œuvre en ne faisant qu’un avec elle, jusqu’à désarçonner l’exercice critique, succinct tant Deborah Warner ne dévie jamais de sa volonté de servir Billy Budd et rien que Billy Budd, en évitant pourtant tout académisme.
Pas un concept personnel, pas une théorie plaquée sur le chef-d’œuvre de Britten ne vient faire écran entre la dramaturgie et la réalisation scénique, qui joue ici seulement de plateaux déplacés verticalement pour figurer les différents niveaux du navire, des quartiers des officiers au pont en passant par la cale où dorment les marins dans des hamacs, et par un jeu de cordes, d’échelles et de changements à vue en ombres chinoises.
Le livret d’après Melville étant bien assez riche en sous-entendus, la Britannique n’enfonce jamais le clou, concentrée sur une direction d’acteurs d’une prodigieuse densité, d’une économie de moyens ne rendant que plus fort le moindre geste inattendu, comme cette simple main posée sur l’épaule du Capitaine par Billy condamné à mort, ou le trouble causé par le jeune marin sur tous les personnages s’en approchant, d’une grande subtilité de caractérisation, derrière un maintien en juste reflet de la hiérarchie militaire.
Avec les éclairages latéraux de Jean Kalman, au service de l’expressivité des visages, distillant un climat par leur seule intensité mêlée à des fumées chéraldiennes, le spectacle est aussi crédible que le serait du cinéma, sans la moindre ficelle rappelant que l’on n’est qu’à l’opéra. Comment oublier en outre les mille expressions du faciès de Jacques Imbrailo, sur lequel passent autant d’états d’âme, à des années-lumière du chanteur lyrique mono-expressif planté comme un piquet ?
Vocalement aussi, le baryton rafle la mise, déchirant dans son ultime monologue lunaire, âme pure qui accepte son destin sans barguigner, et avec une émission merveilleusement modulée – les piani de ses adieux. Le Capitaine Vere de Toby Spence, présent jeune sur scène face à son double vieilli au prologue et à l’épilogue, est d’une impeccable tenue aristocratique, texte déclamé dans le plus subtil Queen’s English, au service du personnage le plus cultivé de l’Indomitable.
On en regrettera d’autant plus la seule vraie lacune du plateau, le John Claggart caricaturalement plébéien de Brindley Sherratt, poussif, usé et au vibrato parfois nauséeux bien que très à l’aise dans sa tessiture, car la plupart des rôles sont parfaitement assurés, même si on eût aimé émissions moins testostéronées chez les officiers, dont les interventions constamment à pleins poumons n’aident pas à faire sentir un peu de fraîcheur marine sur ce navire opératique où ne plane pas la moindre voix féminine pendant trois heures.
En fosse, Ivor Bolton, avec des chœurs puissants et un Orchestre du Teatro Real idéalement aiguisé, cisèle les nappes de cordes, les tenues mystérieuses et le climat presque chostakovien de la très dense version remaniée, en deux actes, de l’opéra de Britten. Saluons enfin la véritable valeur ajoutée de la captation de Jérémie Cuvillier, dont la caméra suit en mouvements vifs et haletants les corps au plus près – et en cette fin d’été 2017 à Madrid, la chaleur suffocante des niveaux inférieurs n’avait pas besoin d’être simulée –, nous immergeant dans le drame très loin du kitsch des caméras rotatives sur scène des vidéos du Met.
| |
|