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SELECTION CD |
05 février 2025 |
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SĂ©lection La Dolce Volta & Accentus |
Beethoven par le Quatuor YsaĂże
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Les 16 Quatuors Ă cordes
Quatuor YsaĂże
Guillaume Sutre, violon I
Luc-Marie Aguera, violon II
Miguel da Silva, alto
Yovan Markovitch, violoncelle
Enregistrement : Musée d’Orsay, Paris, 2008
7 CD La Dolce Volta
2024 aura été pour le quatuor à cordes au disque une sorte de retour aux fondamentaux à travers deux intégrales à marquer d’une pierre blanche. Par le répertoire d’abord, l’Himalaya beethovénien constituant le passage obligé, le bréviaire, le corpus indépassable auquel répondra un siècle et demi plus tard le massif chostakovien. Mais aussi par l’esthétique, avec un retour au classicisme un peu perdu d’ouïe, au premier chef dans le cycle proposé par La Dolce Volta.
À l’heure de la domination écrasante de l’image, où le public cherche à approcher les artistes au plus près, à partager leur quotidien sur les réseaux sociaux, on admire les choix esthétiques du label français inscrivant le Quatuor Ysaÿe (qui a cessé son activité en 2014) dans la mémoire et le souvenir, dans une forme d’éloge de l’ombre avec cette pochette ornée d’une photo donnant juste à voir une main appuyée sur un mur de béton. Guère plus explicites à l’intérieur du coffret de 7 CD, les images floutées des quatre instrumentistes.
Le texte de présentation de Michel Petrossian ouvre lui aussi la voie de la réflexion pour cette intégrale en concert au Musée d’Orsay en 2008, dans une prise de son radiophonique probe, tout sauf dans la séduction, un peu crue même parfois. On ne saurait imaginer plus efficace pour se recentrer sur l’essentiel : le message des œuvres. À l’heure de l’expérimentation, d’une certaine forme de maniérisme, ce Beethoven à la force tranquille s’impose sans accents tapageurs ni surlignage des contrastes. Les gradations sont patientes, le vibrato naturel et assumé, notamment chez le premier violon exceptionnel de Guillaume Sutre – la Malinconia du Quatuor n° 6.
On est frappé surtout pas l’homogénéité extrême du cycle, qui fait qu’on aurait bien du mal à distinguer laquelle des fameuses trois périodes beethovéniennes sied le mieux aux Ysaÿe, d’un classicisme lumineux dans les Op. 18, d’une lisibilité et d’une cohérence absolues dans les Razoumovski, d’une énergie imparable dans le Quartetto serioso, d’un art de la respiration à grande échelle dans les périlleux derniers opus et la Grande Fugue.
Cette continuité dans la prise de risque était pourtant un défi aux réflexes de notre temps : qui ose en 2024 se lancer dans la publication de douze concerts sans la moindre retouche, où l’on cherchera pourtant en vain un moment qui aurait mérité une rustine, et où les applaudissements forment un rituel qu’on se surprend à attendre, au milieu d’un auditoire très attentif ?
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Chostakovitch par le Quatuor Danel
Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
Les 15 Quatuors Ă cordes
Quatuor Danel
Marc Danel, violon I
Gilles Millet, violon II
Vlad Bogdanas, alto
Yovan Markovitch, violoncelle
Enregistrement : Gewandhaus, Leipzig, février & mai 2022
6 CD Accentus music ACC 80585
Dans les classes d’analyse, on apprend que les six quatuors de Bartók sont le pendant, au XXe siècle, des seize quatuors de Beethoven. Il est pourtant un autre corpus qui, jusqu’en en nombre, évoque davantage encore le maître de Bonn : celui de Chostakovitch, qui compte lui aussi une majorité de chefs-d’œuvre et dévoile comme chez son modèle toutes les facettes de son auteur.
Alors que les enregistrements du Quatuor Beethoven (1956-1974, Melodiya) et du Quatuor Borodine (1978-1983, Melodiya) avaient pratiquement réglé la question du cycle complet au disque, entre 2001 et 2005, quatre jeunes lillois, regroupés depuis une décennie autour du violoncelliste Guy Danel, fondateur du quatuor qui porte son nom (avec son frère Marc au premier violon), apportaient en studio, devant les micros de la Radio bavaroise, un nouvel éclairage en forme de synthèse stylistique, sorti en 2005 chez Fuga Libera, réédité en 2016 chez Alpha.
Presque vingt ans et un renouvellement d’altiste et de violoncelliste plus tard (Vlad Bogdanas a succédé à Tony Nys ; Yovan Markovitch, rescapé du Quatuor Ysaÿe dissous, à Guy Danel), les quartettistes remettent leur Chostakovitch sur le métier dans cette nouvelle intégrale captée en concert sur deux sessions au printemps 2022 à la salle Mendelssohn du Gewandhaus de Leipzig, dont le seul défaut serait un changement de plage trop rapide à la fin des œuvres.
Un remake mûri sur les passages en demi-teinte et les plages lentes – la terrible désolation du Quatuor n° 5 –, peut-être un peu moins empoigné ici ou là – encore que la cavalcade infernale du Quatuor n° 7 et les accords en torpilles du Finale du Quatuor n° 9 sont magistralement assénés –, mais d’une hauteur de vue qui force l’admiration d’un bout à l’autre du cycle – le Quatuor n° 3, d’un naturel confondant ; l’unification des six sections et les sonorités extra-terrestres du très long second mouvement du Quatuor n° 12 ; le parfum de mort qui rôde partout dans le Quatuor n° 13.
Avec les années, le Chostakovitch des Danel a troqué un peu d’impact vertical contre une densité accrue des solos – déchirants dans les six adagios successifs du Quatuor n° 15 –, qui achève de porter l’expressivité du corpus sur les sommets au fur et à mesure du dépouillement des dernières œuvres, trouées de silences, pétrifiantes ici par une maîtrise absolue de la raréfaction du son. Un art au point de convergence parfait entre les deux formations avec lesquelles les Danel ont travaillé : les Beethoven et les Borodine.
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| Yannick MILLON
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